En Allemagne, 2,9 millions de jeunes de moins de 35 ans sont sans qualification, un record

Le Monde | 26.05.2025

C’est un paradoxe étonnant : l’Allemagne, qui subit une importante pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs et un vieillissement rapide de sa population, laisse de plus en plus de jeunes sans qualification sur le marché. Selon le dernier rapport annuel sur la formation professionnelle, 2,86 millions de jeunes de moins de 35 ans sont actuellement sans formation professionnelle reconnue. Un chiffre en forte hausse depuis une décennie, qui soulève un déficit structurel : contrairement à sa réputation, le pays ne parvient plus à intégrer aussi facilement les jeunes sur son marché du travail.

L’Allemagne reste l’une des nations où le chômage des jeunes est le plus faible, avec 6,5 %, contre 17,6 % en France et 14,5 % dans la moyenne européenne. Le système de formation dit « dual », qui combine l’apprentissage en entreprise avec un enseignement théorique en école professionnelle (Berufsschule), est largement considéré comme efficace, grâce à une formation concrète adaptée aux besoins des entreprises. En 2023, environ 1,2 million de jeunes étaient engagés dans une formation en alternance en Allemagne.

Pourtant, ce système s’essouffle. Depuis 2015, le nombre de jeunes âgés de 20 à 34 ans sans formation professionnelle ni diplôme est passé de 1,9 million à près de 2,9 millions en 2024, soit 19 % d’une classe d’âge. Un million de ces jeunes n’étaient ni en emploi ni en formation. Et 1,9 million occupaient un emploi, en général limité à des activités précaires et à des tâches subalternes, avec un risque élevé de chômage et de pauvreté. Côté entreprises, 14 % des places d’apprentissage restaient non pourvues, en particulier dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration, ou de la santé.

Le phénomène, considéré comme très préoccupant par les autorités, a plusieurs causes. L’une d’elles, relevée par un rapport de l’agence pour l’emploi de mars 2025, est liée aux difficultés du système allemand à intégrer efficacement les jeunes d’origine étrangère, arrivés nombreux depuis 2015. La formation en langue est insuffisante. « Une des faiblesses du système scolaire est que l’éducation dépend fortement du niveau de formation des parents. Cela a des conséquences négatives pour de nombreux jeunes issus de l’immigration », déplore le rapport.

Les jeunes d’origine étrangère sont surreprésentés parmi les élèves qui quittent le système scolaire sans aucun diplôme. Après quoi, leurs chances d’obtenir une place d’apprentissage sont très réduites. Pour prendre un apprenti, les entreprises attendent un certain niveau en allemand, en lecture et en mathématiques, sans quoi les candidats à l’apprentissage doivent effectuer des mesures d’adaptation avant d’envisager une formation. Beaucoup abandonnent à ce moment-là.
 
Une part du problème est administrative : l’Allemagne peine à reconnaître les formations acquises hors de ses frontières, en raison même de la spécificité de son système. Dans les villes, les livreurs de repas et de colis, ou les chauffeurs de taxi sont très souvent des étrangers aux compétences non reconnues. « Le processus de reconnaissance des compétences est très bureaucratique. Cela a pour conséquence que certains jeunes étrangers sont comptés comme non qualifiés ou travaillent au-dessous de leurs compétences réelles », explique Jan Krüger, directeur du département formation à la Confédération allemande des syndicats (DGB), qui a appelé, en janvier, à une grande offensive de formation pour les jeunes sans qualification.
 

La confédération reconnaît aussi une faiblesse de l’apprentissage : l’inadéquation grandissante entre les attentes des jeunes, quelle que soit leur origine, et les formations proposées. En témoigne le taux de rupture de contrats de formation, qui s’est élevé à 29,5 % en 2022, contre moins de 10 % en 2005. Les formations, parfois physiques, à l’extérieur, avec des horaires décalés, ou trop faiblement rémunérés, ne sont pas toujours attractives pour les jeunes, nombreux à abandonner avant la fin.

« Certains employeurs doivent faire un effort pour offrir aux jeunes une meilleure qualité dans l’apprentissage », poursuit M. Krüger. Pour certains, prendre un emploi non qualifié à court terme peut également se révéler plus rémunérateur. Un apprenti en première année de formation gagne en général 680 euros par mois, un travailleur non qualifié, payé au salaire minimum, peut gagner plus du double. Mais les emplois peu qualifiés ont en général une faible évolution de salaire. Beaucoup d’entre eux sont condamnés à disparaître.