Le Monde | 07.05.2025
Le geste est suffisamment rare pour être souligné. Pour sa première prise de parole au Bundestag depuis qu’il a été élu chancelier le 6 mai, le conservateur Friedrich Merz a remercié son prédécesseur, le social-démocrate Olaf Scholz, redevenu simple député. « Votre réaction à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine a montré la voie, et elle était historique. Nous vous en remercions encore aujourd’hui », a déclaré, mercredi 14 mai, celui qui l’avait, pendant la campagne électorale, rendu responsable de tous les maux du pays.
En mai 2022, après avoir annoncé la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros, Olaf Scholz avait déclaré que « l’Allemagne disposer[ait] bientôt de la plus grande armée conventionnelle d’Europe dans le cadre de l’OTAN ». Malgré une armée longtemps sous-financée, l’Allemagne est aujourd’hui l’une des premières puissances militaires d’Union européenne. En 2025, elle était la troisième par ses effectifs, derrière la Pologne et la France, mais également en tenant compte de critères élargis, selon le site américain Global Firepower, qui la place derrière la France et l’Italie.
« Nous voulons pouvoir nous défendre pour ne pas avoir à nous défendre », a justifié Friedrich Merz, assurant que son parti, la CDU, n’était « pas un parti de guerre » et ne le deviendrait pas. Le 7 mai, lors de la visite de Friedrich Merz à Varsovie, le premier ministre polonais, Donald Tusk, a affirmé avoir lui aussi pour objectif « de posséder l’armée la plus forte et la plus grande d’Europe » dans les cinq prochaines années.
Le nouveau chancelier a fait de l’accélération du réarmement de l’Allemagne sa priorité, annonçant dix jours à peine après les élections du 23 février une réforme constitutionnelle destinée à permettre à l’Allemagne d’emprunter pour financer l’accroissement de ses dépenses militaires. Mercredi, Friedrich Merz a également rappelé le projet d’« un nouveau service militaire volontaire attractif », alors que la CDU, qui espérait revenir au service militaire obligatoire supprimé en 2011, a dû y renoncer face à l’opposition du SPD, son partenaire de coalition. « Vous êtes un chancelier de gauche », l’a accusé mercredi Alice Weidel, la coprésidente du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland, deuxième force politique du pays, lui reprochant de vouloir « doubler la dette fédérale » tout en fustigeant sa « rhétorique martiale destinée à détourner l’attention des problèmes intérieurs ».
Ces derniers, moins consensuels, ont de fait été plus rapidement évoqués dans son discours, la question de l’immigration, particulièrement sensible, n’apparaissant qu’à la toute fin. Les mesures de contrôle aux frontières prises dès le 7 mai par le nouveau ministre de l’intérieur, Alexander Dobrindt, issu de la CSU, le parti conservateur bavarois, suscitent en effet des tensions avec les pays voisins de l’Allemagne, en particulier la Pologne. M. Dobrindt a promis de désormais refouler la plupart des demandeurs d’asile, et a immédiatement affecté 3 000 policiers supplémentaires au contrôle des frontières.
« Qui a eu l’idée d’apporter la fermeture des frontières comme cadeau, pour la première visite au chef du gouvernement polonais ? », a néanmoins raillé la députée écologiste Katharina Dröge, mercredi, pointant le « silence » du Parti social-démocrate. « Nous prenons très au sérieux l’irritation de nos pays voisins, a répondu Jens Spahn, le nouveau président du groupe CDU au Bundestag. Mais la question de savoir comment l’Allemagne et les Allemands se sentent dans tout cela joue également un rôle décisif pour nous et pour le gouvernement allemand. Car une chose est évidente : la politique migratoire de ces dernières années n’a pas de majorité en Allemagne et en Europe. »
La situation de l’économie, principale préoccupation des Allemands alors que le pays vient de connaître deux années consécutives de récession, a elle aussi été abordée de façon expéditive par le chancelier. « La sécurité de l’Allemagne, sa force d’action dans le monde, tout cela dépend de notre puissance économique », a-t-il analysé, égrainant les mesures du contrat de coalition : lutte contre la bureaucratie, baisses d’impôts et du prix de l’énergie, modernisation de l’Etat et « investissements publics et privés à grande échelle ». « Si l’économie allemande renoue avec la croissance, nous garantissons également notre Etat social », a-t-il conclu. Un message à l’adresse de ceux qui, au sein du SPD, militent pour porter le salaire minimum à 15 euros de l’heure en 2026, comme le prévoit de façon un peu vague le contrat de coalition.